14 Juin 2016

Conférence ministérielle de présentation de la Feuille de route nationale sur l’Arctique


Participation de Jean-Marc Ayrault à la présentation de la feuille de route nationale sur l’Arctique (14 juin 2016)

Cette feuille de route est l’aboutissement de travaux menés sous l’impulsion de Michel Rocard depuis 2013 pour renforcer la contribution de la France à la coopération internationale dans cette région et pour mieux nous coordonner avec nos partenaires, notamment les cinq États riverains de l’océan Arctique (États-Unis, Canada, Danemark, Norvège et Fédération de Russie). La France est active, notamment au sein du forum de coopération intergouvernemental du conseil de l’Arctique, ainsi que dans plusieurs enceintes techniques et scientifiques.
La zone arctique, en rapide évolution avec le recul des glaces du fait du réchauffement climatique et l’ouverture à terme de nouvelles routes océaniques, est d’un très grand intérêt scientifique, environnemental, économique et stratégique. La France plaide pour l’application de normes environnementales élevées à cet écosystème unique.

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Intervention de Michel Rocard (14 juin 2016)

Nous sommes heureux de vous voir assister à cet événement administratif. Il ne se veut pas festif mais il est quand même heureux et nous le croyons important. D’où le vif plaisir de vous voir nombreux !
La France confirme aujourd’hui, son Président François Hollande l’avait annoncé à Reykjavik le 16 octobre 2015, qu’elle a décidé et réussi à mettre de l’ordre et de la cohérence dans la politique qu’elle conduit en région arctique.
La présence de la France en Arctique est une vieille histoire qui commence avec la morue et les baleiniers.
Il n’est pas sans saveur de reposer à l’ouverture de ce propos introductif la vieille question de savoir si la France est ou n’est pas un pays et un peuple de marins. Mon sentiment d’aujourd’hui est qu’avec les plus longues côtes maritimes d’Europe après la Russie et une longue et belle histoire navale, au XXe et XXIe siècle, la France n’a pas réussi sa rencontre avec la mer. Ce devrait rester un immense projet pour travailler aujourd’hui au réveil de notre pays.
Reste que si les affaires maritimes n’ont guère été au cœur de la vie nationale, la marine, la pêche, l’aventure en mer, l’exploration, ont beaucoup marqué certaines de nos populations. Il en reste de fortes traces en Arctique. Baleiniers d’abord et longtemps, capitaines en recherche du passage du Nord-Ouest, explorateurs, sociologues, aventuriers, ils furent nombreux. Cela commence avec Cartier, continue avec Charcot, s’intensifie avec Paul Emile Victor et Malaurie, et tant d’autres.

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Mais nous n’y avons jamais occupé un territoire. Les intérêts que nous y avons défendus furent commerciaux, puis scientifiques, jamais nationaux.
Pourtant l’Arctique, terre et océan, est immense. Beaucoup des nations qui jouèrent un grand rôle dans l’histoire du monde s’y rencontrent.
Le Grand Nord fut un haut lieu de guerres navales, pas seulement pendant les deux guerres mondiales. La liberté de circulation des navires y a toujours été considérée essentielle.
L’absence totale est donc interdite, l’indifférence aussi. Le fait que le traité qui régit le Svalbard depuis 1920 soit le traité de Paris – l’un des rares qu’ait réussi à faire négocier la SDN – n’est pas seulement un hasard.
Nous sommes lointains, non riverains, mais intéressés. La France regarde tout depuis longtemps et des français sont un peu partout.
Mais nos pêcheurs n’ont ni directives, ni politique sinon celle de respecter les rares règles communes lorsqu’il y en a, nous ne participâmes guère à leur élaboration. Notre marine nationale, partie de l’OTAN, participe de temps en temps à de rares missions internationales de présence et de sécurité sans cohérence autre qu’occidentale. Notre ministère des transports suit de loin de rares négociations aériennes ou maritimes.
Ce sont la science et la recherche qui nous représentent le plus activement. Mais chaque unité de recherche assurait sa présence comme elle pouvait. La mise en cohérence de ces présences et de l’influence qu’elles apportaient n’apparaissait pas.
Tout le monde chez nous vivait cela très bien : cette zone inaccessible était sans usage.
Trois événements ont tout changé : la deuxième guerre mondiale et le rôle qu’y joua le Grand Nord. Le réchauffement climatique qui rend de plus en plus possible en mer et à terre des activités humaines interdites en Arctique jusque-là. Enfin la création en 1996 du Conseil Arctique. Ce dernier, s’il joue un rôle efficace et reconnu de coordination et de mise en cohérence des politiques des états de la zone arctique, n’a pas cherché ni voulu associer à son action celle des usagers de l’Arctique non riverains qui ont pourtant des raisons croissantes de s’y intéresser de près. Mais il est le premier signe de l’intérêt de la communauté internationale pour cette région en plein bouleversement. Membre observateur, et donc consultatif sans influence du Conseil Arctique, la France a pourtant comme bien d’autres le souci que le passage de ces terres et de cet océan à des usages humains plus fréquents et plus habituels se passe dans le respect le plus strict possible de son environnement, et des conditions de vie de ses rares populations originelles. Il y faut des règles nationales fortes et cohérentes. Pour les eaux libres et les problèmes communs, il y faudra aussi des règles internationales.
Contribuer à tout celà est pour la France l’objet de cette feuille de route.
Nous ne sommes pas les premiers, loin de là. Devant l’importance des changements en cause, la plupart des états concernés ont déjà décrit leur politique et sa cohérence. Manquait la France. Certains autour de nous en ont souri. Mais mieux vaut tard que jamais. Et surtout l’expérience ainsi acquise nous aura beaucoup servi à nous aussi.
Aussi veux-je saluer l’enthousiasme immédiat que le Premier Ministre a mis à exprimer le souhait et passer commande de ce document administratif inhabituel, directive prenant la forme d’une concertation interministérielle. Ma dette est plus grande encore peut-être vis à vis du Ministre des Affaires Étrangères, qui a accepté de mettre ses moyens et ses talents au service d’un travail dont la vraie nature est primoministérielle.
Et comment ne pas vous dire, saluer et remercier ici aussi, que l’architecte infatigable, le concepteur vrai de cette Feuille de Route pour l’Arctique est mon second, l’Ambassadeur adjoint Laurent Mayet. Vous verrez dans quelques minutes si tout cela mérite des applaudissements, ils seront pour lui.

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L’objet de cette feuille de route est donc d’identifier, de hiérarchiser et de coordonner les priorités françaises relatives à la zone Arctique.
Quatre priorités ont été retenues : 

  • identifier les intérêts (économique, de défense, scientifique, d’influence…) français dans la zone Arctique ; 
  • renforcer la légitimité de la France dans les affaires et les enceintes arctiques ; 
  • travailler à l’équilibrage entre intérêts nationaux et intérêt général dans la gouvernance de l’océan Arctique ; 
  • promouvoir un haut niveau de protection de cet environnement marin unique et fragile.

Ces quatre priorités ont été déclinées sous la forme de sept sections thématiques dont certaines recouvrent un domaine institutionnel (MAEDI, MINDEF, MENESR, MEDDE) :

  1. Recherche et coopération scientifiques en Arctique
  2. Intérêts et opportunités économiques dans l’Arctique
  3. Protection de l’environnement marin arctique
  4. Intérêts de défense et de sécurité dans l’Arctique
  5. Présence française dans les enceintes internationales
  6. L’Union européenne et la zone Arctique
  7. Intérêts nationaux et intérêt général dans la zone Arctique

Le MAEDI a passé commande de contributions auprès d’une quinzaine de services et de plusieurs agences publiques du réseau interservices de la FRNA, ainsi qu’auprès des missions diplomatiques françaises dans les États de la zone Arctique.
Au-delà de l’objectif du document de la FRNA, le réseau interservices mis en place au dernier trimestre de l’année 2013 a permis d’entretenir pendant deux ans, une synergie, un intérêt partagé et un régime de concertation entre de nombreux services, contribuant à faire entrer durablement les thématiques arctiques dans les habitudes de l’administration française avec le niveau de priorité relative qu’il fût décidé de lui accorder.
Le présent document est le résultat de ce travail qui a engagé la participation de nombreux services et d’agences publiques du réseau de l’État français. Il fournit un cadre de travail, des orientations et des priorités, qui devront permettre pour les années qui viennent, de mettre en cohérence et de hiérarchiser les démarches en lien avec les enjeux et les défis arctiques qui intéressent la France dans une logique d’intérêt durable et général bien compris.
J’ai voulu ce propos bref. Sur bien des points il laissera certains d’entre vous sur leur faim. Mais vous avez le texte entre les mains, en français et en anglais je crois, et je le crois riche.
Nous aurons un moment de débat tout à l’heure. Laurent Mayet et moi-même restons à votre disposition.

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Je tiens à terminer avec quelques remarques de l’ordre international.
La France est membre de divers organismes bien différents, qui a un titre ou un autre ont une compétence qui jouxte ou inclut la région arctique et son océan.
Oublions pour un instant les organisations régionales de pêche compétentes pour les zones voisines. Nord Pacifique, Atlantique du Nord-Ouest et Nord-Est. La France souhaite, elle l’a déjà dit, l’extension progressive de ces zones à l’océan glacial arctique lui-même. Restons-en aux organismes en fonctions.
Le premier est l’OTAN, la France réaffirme sa disposition à participer aux politiques de sécurité concernant la région.
Le second est le Conseil Arctique. Avec ses douze membres observateurs, avec lesquels jamais encore il n’a organisé de travaux communs. Il a besoin d’une mutation. La France veut dire à sa Présidence actuelle les États-Unis et à toutes les suivantes sa disponibilité à se préparer et son espoir qu’elle réussisse.
Le troisième est l’Union Européenne, déjà compétente pour la pêche et qui prépare une vision plus générale. Notre soutien lui est assuré, et cette Feuille de route se veut une contribution.
Enfin une remarque plus générale et plus surprenante. Nous sommes ici dans l’univers de la diplomatie. Elle est par l’histoire le lieu où se précisent et se défendent les intérêts nationaux.
Notre Feuille de route remarque et écrit qu’il ne s’agit pas en Arctique que d’intérêts nationaux. Les règles de demain concernant la pêche, la navigation commerciale, l’activité minière ou pétrolière doivent concerner les eaux libres.
Il s’agit ici de l’intérêt général de la planète et pas seulement de la conjugaison de nos intérêts nationaux. Cet intérêt général, il faut l’énoncer et le défendre. Que la diplomatie mondiale travaille aussi à l’intérêt général du monde n’est pas tout à fait une nouveauté, voyez l’Antarctique ou l’espace. Mais c’est suffisamment important en Arctique pour devoir être dit, et souligné. La Feuille de Route de la France pour l’Arctique se veut aussi pour une part une contribution au progrès de la diplomatie mondiale.


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Voir l'article complet sur le site du Ministère des affaires étrangères

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