40 ans de suivi satellitaire

2050 : l’océan Arctique libre de glaces en été

Sur les 4 décénies d’observations satellitaires, le constat de la réduction de l’étendue de la banquise arctique est sans appel avec une tendance négative pour tous les mois et toutes les saisons de l’année.

houssaisB128Le diagnostic de l’état des banquises arctique et antarctique s’appuie pour l’essentiel sur l’information recueillie par les satellites d’observation de la Terre qui sont les seuls à pouvoir fournir une vision globale dans l’espace et continue dans le temps. L’année 2019 clôt ainsi quatre décennies d’observation de l’évolution de la concentration de glace de mer (une mesure locale du pourcentage de surface océanique englacée) au-dessus des deux pôles, la série la plus longue d’observation globale de la banquise disponible à ce jour. De cette grandeur il est possible de déduire la limite du couvert total de glace et, ainsi, son étendue. Le constat de la réduction de l’étendue de la banquise arctique est sans appel sur les quatre dernières décennies, avec une tendance résolument négative de cette grandeur pour tous les mois et toutes les saisons de l’année. Ce signal, qui tout à la fois reflète et sous-tend bon nombre de changements radicaux dans l’environnement arctique, est particulièrement fort en fin d’été, avec une perte moyenne de 12.8% (relativement à la moyenne climatologique) pour le mois de septembre, mais n’épargne pas les mois d’hiver (une tendance de 2.7 % caractérise le mois de mars, lorsque la banquise est à son maximum saisonnier). Dans ce contexte, l’hiver 2019 qui vient de s’achever fut assez banal en termes d’englacement de l’Arctique. L’année se classe seulement 7e dans le palmarès des hivers les moins englacées des quatre dernières décennies et rompt avec la série des quatre hivers les plus récents qui furent les moins englacés de la période.

20180923 seaiceextentannot Average Monthly Arctic Sea Ice Extent october1979 2019


Disparition des glaces pluriannuelles. Depuis 1981, les glaces les plus épaisses qui ont résisté à la fonte de plusieurs étés consécutifs, ont vu leur étendue diminuer de 60 % et ne représenteraient plus qu’un tiers du couvert de la banquise - © NASA - Nation Snow and Ice Data Center


Un examen plus détaillé de la décroissance multi décennale de l’étendue la banquise montre que celle-ci n’est pas constante dans le temps, ni également répartie dans toutes les régions de l’Arctique. On note ainsi une accélération de la décroissance du couvert estival de banquise au milieu de la décennie 90, sans doute concomitante à une altération persistante de la circulation atmosphérique hivernale dans la première moitié de la décennie, attestée par des valeurs durablement positives de l’indice d’Oscillation Arctique. Une distribution anormalement cyclonique des vents au-dessus de l’Arctique a favorisé la prédominance d’une banquise plus mince au printemps, liée à l’export vers l’Atlantique Nord d’une part importante de la banquise pluriannuelle la plus épaisse située au nord du Groenland et de l’Archipel Arctique Canadien. On a pu aussi montrer que la décroissance du couvert estival arctique n’est pas apparue de manière synchrone à l’échelle du bassin arctique : le secteur pacifique a été touché dès le début des années 90 alors que l’accélération dans le secteur atlantique ne s’est produite qu’au début des années 2000. Tandis que le premier a pu être affecté par une diminution brutale de l’apport de glace pluriannuelle dans la région, le déclin récent dans le secteur atlantique a résulté de modifications régionales de la dérive des glaces (comme en mer de Kara ou en mer de Barents) ou d’une fonte de glace accrue par l’influence plus marquée de l’océan.

Dans tous ces scénarios, les changements structurels de la banquise, et notamment les variations de son épaisseur, se révèlent être un acteur majeur dans l’intégration des changements subis et l’instauration de tendances sur le long terme. L’épaisseur des glaces contrôle leur volume, grandeur majeure quand il s’agit de quantifier l’impact de ce réservoir d’énergie et d’eau douce dans le système climatique. L’estimation de l’épaisseur de la banquise se heurte encore à des enjeux de précision non résolus, et les premières estimations satellitaires en offrant une couverture relativement globale datent seulement de 15 ans avec le lancement de la mission ICESat en 2003. Pourtant, si l’on adjoint à ces données satellitaires les mesures de tirants d’eau effectuées plus localement par les sous-marins depuis 1958, une vision sur le long-terme peut être reconstruite. Celle-ci montre, été comme hiver, un amincissement très significatif des glaces, d’environ 40% dans le centre de l’Arctique, depuis un maximum atteint en 1980 jusqu’à un minimum atteint en 2007. Cet amincissement semble s’être stabilisé sur la dernière décennie, comme le révèle les observations de la mission CryoSat-2 lancée en 2010, et l’épaisseur moyenne des glaces de nos jours dans le centre de l’Arctique reste proche de 2 m. Cette diminution d’épaisseur est corrélative d’une diminution du volume des glaces, particulièrement marquée pour les glaces de fin d’été. Leur volume a diminué de plus de 500 km3 par an entre 2002 et 2017 tandis que les modèles suggèrent une diminution atteignant 75% depuis 1979.

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Record de plus faible étendue de banquise au mois d’octobre - © Université de Bremen (Germany)


Sur le long terme, l’amincissement de la banquise est principalement le résultat de la disparition progressive des glaces pluriannuelles en Arctique, avec pour conséquence l’émergence d’un couvert de glace de plus en plus saisonnier et de plus en plus mince. Depuis 1980, les glaces pluriannuelles ont vu leur étendue diminuer de 60% et ne constituent plus qu’un tiers du couvert de banquise. Leurs variations d’une année à l’autre sont également parfaitement corrélées à celles du volume. Jusque récemment la disparition de ces glaces résultait essentiellement de leur export par le détroit de Fram au cours de l’hiver. Depuis quelques années, il semble que la fonte, notamment en mer de Beaufort, contribue aussi à leur disparition, dans une proportion égale à celle de l’export. Ce constat laisse à penser que le volume de la banquise, tout en diminuant plus modérément dans les années à venir du fait de la disparition progressive des glaces plurinanuelles, deviendra de plus en plus vulnérable aux forçages thermodynamiques responsables de la fonte-congélation. De plus, en perdant, avec ses glaces pluriannuelles, une part d’inertie et de mémoire vis-à-vis des changements qu’elle subit, la banquise arctique devient plus variable d’une année sur l’autre et, par-là, moins prévisible.

La sensibilité grandissante de la banquise arctique aux processus thermodynamiques met en relief l’importance du réchauffement tant atmosphérique qu’océanique. Les englacements particulièrement bas relevés au cours des hivers récents depuis 2015 en sont un bel exemple puisque ces hivers ont aussi enregistré des records en termes de températures de l’air, supérieures de plusieurs degrés (4°C en hiver 2018) aux normales saisonnières. Mais l’océan est aussi concerné. Le retrait spectaculaire du couvert de glace hivernal dans le secteur atlantique de l’Arctique dans les années 2000, se révèle être concomitant de changements profonds dans la veine d’eau Atlantique qui s’écoule en subsurface le long de la marge eurasienne de l’océan Arctique depuis son point d’entrée par le droit de Fram. Normalement isolées de la glace par une couche froide d’eau polaire, les eaux atlantiques sont désormais observées plus près de la surface. Leur remontée, associée à la possibilité d’un brassage plus en profondeur des eaux soumises aux effet du vent et du refroidissement atmosphérique du fait de la diminution du couvert de glace, rend désormais possible l’extraction de quantités de chaleur importantes de l’océan pour fondre la glace et en limiter ainsi l’épaisseur, un processus connu sous le nom d’atlantification de l’Arctique. Ce processus peut se révéler primordial dans un contexte où les eaux de l’océan tendent à se réchauffer, constituant une source potentielle de chaleur toujours plus importante pour la glace.

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Glaces pluriannuelles


Disparition des glaces pluriannuelles. Depuis 1981, les glaces les plus épaisses qui ont résisté à la fonte de plusieurs étés consécutifs, ont vu leur étendue diminuer de 60 % et ne représenteraient plus qu’un tiers du couvert de la banquise - © Nation Snow and Ice Data Center


Le déclin de la banquise arctique et son lien avec l’océan doivent être analysés dans le contexte plus large de la variabilité intrinsèque du climat. C’est ainsi que, dans le secteur atlantique de l’Arctique, la veine d’eau atlantique connait régulièrement des évènements chauds qui s’avèrent en phase avec l’Oscillation Atlantique Multidécennale, un mode de variabilité dominant de la température de surface de l’Atlantique Nord dont les échelles de 50-80 ans sont susceptibles d’influencer les tendances multidécennales du couvert de glace. Des études suggèrent par ailleurs que la variabilité intrinsèque du climat pourrait aussi s’exprimer dans l’Arctique par des variations multi décennales de la circulation atmosphérique, celles-ci pouvant expliquer jusqu’à 50% des tendances de la banquise sur les dernières décennies. Reste néanmoins que la banquise arctique subit en premier lieu l’effet du réchauffement global induit par les rejets de gaz à effet de serre liés aux activités humaines, renforcé par le phénomène d’amplification qui conduit à un réchauffement actuel double en Arctique relativement au réchauffement global.

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Evolution passée et prévisions d'évolution future de la cryosphère et des océans selon le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat - © GIEC


L’analyse du futur de la banquise arctique fournie par le 5ème rapport du GIEC nous montre que le déclin de la banquise arctique n’est pas près de s’arrêter. Dans un scénario qui limiterait le réchauffement global à une valeur proche de 2°C, la moyenne des projections climatiques indique que la banquise arctique pourrait devenir totalement saisonnière d’ici la fin du siècle, avec des changements majeurs intervenant dès avant le milieu du siècle (à noter que, selon ce même scénario, l’augmentation de la température de l’air en Arctique en hiver serait de plus de 7°C d’ici la fin du siècle). Un résultat essentiel de l’analyse du GIEC est la forte dépendance de l’évolution de la banquise au scénario envisagé. Une limitation du réchauffement global à 1.5°C telle que préconisée dans l’accord de Paris apparait alors comme un élément crucial pour le futur de la banquise. Elle abaisserait à quelques pour cent la probabilité d’un Arctique libre de glace en été à la fin du siècle. Elle permettrait aussi que la calotte Groenlandaise se maintienne en deçà de son seuil de viabilité, seuil au-delà duquel elle entrera dans une phase de déclin irréversible.

 

Pour en savoir plus :

■ Site du Polar view center de l’Université de Bremen (Allemagne)

■ Site du National Snow and Ice Data Center (NSICD- USA)

■ La maritimisation de l’Arctique. Chapitre 1 : Prospective sur le retrait des glaces. Centre d’Études Stratégiques de la Marine (CESM), 2015


Marie-No*elle Houssais © Décembre 2019 - Le Cercle Polaire Tous droits réservé

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